Un Petit Boulot voir ce film 1440

  • Un petit boulot
  • France, Belgique -
  • 2015
  • RĂ©alisation. Pascal Chaumeil
  • ScĂ©nario. Michel Blanc
  • d'après. le roman Un petit boulot
  • de. Iain Levison
  • Image. Manuel Dacosse
  • DĂ©cors. NoĂ«lle Van Parys
  • Costumes. BethsabĂ©e Dreyfus
  • Son. Antoine Deflandre, Alexandre Fleurant, Thomas Gauder
  • Montage. Sylvie Landra
  • Musique. Mathieu Lamboley
  • Producteur(s). Sidonie Dumas, Yann Arthaud, Geneviève Lemal
  • Production. Gaumont, Scope Pictures
  • InterprĂ©tation. Romain Duris (Jacques), Michel Blanc (Gardot), Alex Lutz (Brecht), Gustave Kervern (Tom), Charlie Dupont (Jeff), Alice BelaĂŻdi (Anita).
  • [Collaboration au scĂ©nario] Frantz Bartelt
  • Distributeur. Gaumont Distribution
  • Date de sortie. 31 aoĂ»t 2016
  • DurĂ©e. 1h37

Des outils de qualité, par Benoît Smith

Un petit boulot

Les dernières scènes d’Un petit boulot (de fait le dernier petit boulot du rĂ©alisateur Pascal Chaumeil, mort peu après en avoir bouclĂ© la postproduction en 2015) se livrent Ă  deux lectures a priori distinctes, qui semblent pouvoir s’appliquer au film entier. La première lecture dĂ©gage une conclusion logique, en forme de faux happy-end, Ă  la comĂ©die noire qui vient de se dĂ©rouler. Soit Jacques, un honnĂŞte ouvrier que la fermeture de son usine a incitĂ© Ă  s’essayer au dur mais lucratif mĂ©tier de tueur Ă  gages pour le compte du petit parrain local. Il a tâchĂ© de garder la tĂŞte propre tandis qu’il se salissait les mains, mais cette conclusion suggère fortement que la corruption de l’âme, par le plaisir malsain pris Ă  cette besogne, a fini par l’emporter, avec l’assentiment passif du spectateur qu’un regard camĂ©ra goguenard prend Ă  tĂ©moin au passage. La seconde lecture, plus sournoise, Ă©claire cette fin Ă  la lumière d’une remarque jetĂ©e auparavant par le mĂŞme personnage – Ă©galement narrateur – en voix off. Ă  propos d’une arme qu’il a utilisĂ©e: «Je respecte la valeur de l’outil de travail.» L’Ă©pilogue peut alors apparaĂ®tre comme une rĂ©compense Ă  l’Ă©gard de cette respectueuse attitude, en somme un vrai happy-end pour celui qui n’a eu de cesse de faire au mieux son travail avec les outils du moment.

Éloge du bon travail

En vĂ©ritĂ©, les deux lectures vont de pair, et se complètent idĂ©alement. De bout en bout, Jacques se montre un bon travailleur, au sens oĂą, pour toutes sortes de plus ou moins bonnes raisons (se sortir de la dèche, sauver les copains), il se voue sans faillir Ă  accomplir sa mission et oĂą, si sinistre que soit celle-ci, il ne s’en attire que plus de sympathie. Il sait la valeur de ses outils qu’il prend en main sans problème malgrĂ© son manque d’entraĂ®nement – les conventions du film noir s’avĂ©rant ici bien commodes. Il reconnaĂ®t illico l’importance d’accessoires adĂ©quats, tels que le silencieux qu’il rĂ©clame et auquel il saura trouver un substitut de fortune. Et somme toute, de ses meurtres, la morale (car il y en a bien une, quand bien mĂŞme le film voudrait se vendre sous l’Ă©tiquette de «comĂ©die joyeusement immorale») retient surtout Ă  quel point le travail a Ă©tĂ© bien fait, et comme la providence est belle quand elle pare aux petits alĂ©as de l’improvisation. D’ailleurs, toujours selon la morale du film, la moralitĂ© de ce travail-lĂ  importe peu, puisqu’on s’est – et on nous a – assurĂ© que les victimes de Jacques ne manqueront Ă  personne. Ainsi, la jouissance de tuer chez Jacques est-elle sournoisement doublĂ©e d’une satisfaction de justice facile chez le spectateur. Le tour de passe-passe est connu: on en a mĂŞme fait une sĂ©rie tĂ©lĂ©, la surestimĂ©e Dexter .

Est-ce Ă  dire que le film adopte le parti-pris de l’ouvrier de service – mĂŞme handicapĂ© par la fadeur de Romain Duris? Par vraiment: il participe plutĂ´t Ă  l’Ă©loge d’un contrat couronnĂ© de succès dans un monde du travail un brin idĂ©alisĂ©, du rapport harmonieux (mĂŞme dans la roublardise) entre patron et salariĂ© – toujours sous le couvert d’une satire criminelle. Il suffit de voir le petit parrain local jouĂ© par Michel Blanc: sĂ©rieux et supposĂ©ment peu scrupuleux dans ses affaires, mais jamais très inquiĂ©tant [1]. assez coulant avec ses employĂ©s – ainsi embauche-t-il Jacques parce qu’il l’«aime bien», sans ironie ou presque. Soit l’interprĂ©tation gentiment humoristique d’un patronat Ă  visage humain, d’autant plus lisible sous cet angle qu’elle s’oppose Ă  celle d’une Ă©conomie dĂ©shumanisĂ©e, reprĂ©sentĂ©e par un personnage de sinistre contrĂ´leur de gestion (campĂ© sans humour par l’humoriste Alex Lutz dans un contre-emploi bien Ă©pais) qui fera, on n’en est guère surpris, partie des victimes avec tous les outrages dus Ă  son rang.

Autopromotion

Une telle complaisance dans un discours social flatteur bride fatalement Un petit boulot dans ses caractĂ©ristiques annoncĂ©es de «comĂ©die noire» – soit les efficacitĂ©s comique et corrosive, soigneusement mises en branle mais minĂ©es par ses arrière-pensĂ©es. Mais au fond, cette ornière de l’Ă©loge du travail bien fait n’est-elle pas l’apanage de ces films conçus par des professionnels avant tout pour briller dans leur profession? Un petit boulot porte tout du long les stigmates «QualitĂ© Française» d’un cinĂ©ma post-Audiard un peu trop pĂ©père, complexĂ© de ne pas avoir grand-chose de neuf Ă  proposer (alors que s’il l’assumait, il ferait dĂ©jĂ  un grand pas), et donnant le change par quelques ingrĂ©dients comiques convenus, des acteurs typĂ©s, et une rĂ©alisation pas incompĂ©tente mais bien impersonnelle. En premier lieu, comme la tradition l’exige: les dialogues, fignolĂ©s aux petits oignons par Michel Blanc lui-mĂŞme qui en rĂ©serve la primeur Ă  son propre personnage, et qui finissent par s’imposer comme l’argument principal (et le comĂ©dien-scĂ©nariste comme le vrai maĂ®tre d’Ĺ“uvre du film). Du travail de pro tournĂ© vers son propre savoir-faire, jusqu’Ă  entacher la communication du plaisir au spectateur, et face auquel le sommaire discours social si ostensiblement articulĂ© par le scĂ©nario fait figure de pis-aller. Curieux paradoxe pour Blanc qui adapte ici, comme il l’a souvent fait, un auteur anglo-saxon: lui qui dans le dossier de presse loue chez ces auteurs-lĂ  un art de rester concret et de livrer ainsi des histoires solides, tire ces histoires vers un cinĂ©ma qui dilue le concret dans l’esprit performatif maison.

  1. [1] Contrairement Ă  l’authentique truand de Manchester dont Michel Blanc dĂ©clare s’ĂŞtre inspirĂ© pour son rĂ´le: Dominic Noonan, dĂ©couvert dans le documentaire A Very British Gangster (Donal MacIntyre, 2007).